K/2 : Le souvenirs, quand ça vous tient...
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- J’ai bien retransmis votre pensée, belle-maman ? Arrêtez-moi si je me trompe.
Je comprends pas tout, quelquefois.
- Ca, je vous le fais pas dire ! Mais pour une fois… c’est tout à fait ça, ma fille.
* Va-z-y maman, Mets-lui bien les points sur les « I » au paternel.
Si avec ça, il comprend pas ce qui nous attend si on emménage chez elle… ».
- Donc, Gérard, tu lui dis ou je lui dis ?
- Quoi donc, chérie ?
- Mais que c’est de l’abus de pouvoir ! Qu’il n’est pas question de partir dans ces conditions.
Qu’on préfère rester maîtres de décider de l’heure de nos repas et de nos menus.
Que notre appartement n’est peut-être pas très grand, mais qu’au moins on y est libres.
Et que ce qu’elle nous propose, c’est intolérable.
- Hola ! Comme tu y vas, Edith.
- Ca demande quand même réflexion. C’est si important que ça de manger à 20 h plutôt qu’à 19 ? On est soumis à des contraintes horaires tous les jours, au travail. On les respecte, et tu sais pourquoi ? Parce qu’on est comme tout le monde, on a besoin d’argent pour vivre. Alors quand on nous demande de commencer à 15 heures plutôt qu’à 16, on y va. Et quand on nous demande de finir à 18 h plutôt qu’à 17, on le fait. C’est comme ça qu’on avance, Edith. Et si de manger à 19 h nous permet d’économiser un loyer, moi je dis que c’est pas négligeable.
- Exac-te-ment ! Réfléchissez un peu, Edith, pour une fois.
Moi, toutes ces discussions, ça me fatigue ! La nuit vous portera peut-être conseil.
* Il l’a branchée sur le porte-monnaie. Il connaît son point faible, la vache !
Allez maman, tiens bon, te laisse pas faire ! *
- Qu’est ce que tu fais là, toi à écouter les conversations des grands ?
- Allez, viens par là, la puce ! Claude va t’apprendre quelque chose.
C’est trop mignon, à cet âge-là. Ca plane au-dessus des problèmes.
Faudrait jamais que ça grandisse.
- Je te jure, ta mère… faut toujours qu’elle complique tout.
Je lui offre une belle maison, avec tout le confort moderne.
Quatre chambres, deux salles de bain, un grand jardin… même trop grand.
Enfin, trop grand pour moi toute seule. C’est de l’entretien.
- On s’est saignés aux quatre veines avec ton grand-père pour avoir ça. Faut pas croire.
Les heures qu’il a passées dans le potager pour faire bouillir la marmite….
Pas étonnant qu’il soit mort jeune. Soixante-dix ans… c’est bien trop jeune !
TU M’ECOUTES ANGELE ? OUI ?!
- Meuh-oui, je t’entends !
- Entendre et écouter, c’est pas pareil !
Répète un peu, ce que je viens de dire.
- Saignés aux quatre veines, blablabla, une grande maison, un grand jardin…
t’as oublié un chien débile, deux sacs à puces et le plus important : toi !
Ben tu vois, je comprends qu’elle hésite.
- Pff ! Je vois pas pourquoi je me donne du mal à essayer de discuter.
T’es comme ta mère. Aussi bornée. Aaah, je plains celui qui t’épousera !
L’a pas fini d’en voir, le pauvre !
- En tous cas, je peux te prédire une chose :
Il me fera pas chier avec sa mère. Il en a plus.
- Ah-nan, on dit des gosses… mais à côté des vieux, c’est rien.
Cling ! Cling !
- Hi hi hi !
Cling ! Cling !
- Qu’est ce que tu fais, Emma ? T’aimes la musique, toi ?
Attends, Lola va te montrer comment faire.
Cling ! Clong !
- Tu vois, si tu tapes là et là, ça fait de la plus jolie musique.
- Quelle heure qu’il… Ooooh ! Mais il fait noir ! Il est au moins neuf heures !
A quelle heure donc vous-vous couchez ?
Cling ! Clong !
- Hi hi hi !
Cling ! Clong !
- HO ! Ca va durer encore longtemps, le vacarme ?
Y a pas moyen de dormir ici !
- C’est la petite qui vous gêne, belle-maman ?
Attendez, je vais la mettre au lit.
- Viens, ma chérie, maman fait marcher au dodo. Tu veux bien marcher, mon trésor ?
- C’est ça que vous appelez « mettre au lit » ? Ah-ben, chuis pas d’là d’être couchée !
- C’est le lit à qui, ça ?
- Heu… c’est la chambre de Claude, pourquoi ?
- Bon-ben ce soir, ça sera MA chambre !
- Heu… t’avais pas dit que tu coucherais sur le canapé ?
- Je voudrais t’y voir ! Y a pas moyen de fermer l’œil.
Je te demanderais bien d’y aller à ma place, mais… dormir avec Edith, non merci !
- Remarque… je pense qu’elle y tient pas non plus. Pour ce qui est de Claude…
- T’as qu’à lui dire de me laisser sa chambre. C’est quand même à toi de décider !
C’est toi le chef de famille ici. Je me trompe ?
- Heu… non-non, bien sûr, c’est moi. Si je lui dis…
- A la bonne heure !
- Bon ! Ben alors… bonne nuit maman.
- Gérard. Mon petit Gérard, t’oublies rien ?
- Nan, je crois pas… qu’est ce que j’oublie ?
- Tu m’embrasses pas ?!
Voyons Gérard ! T’as oublié, quand je venais te dire bonsoir dans ta petite chambre ?
On s’embrasse pour se souhaiter bonne nuit.
Qu’est ce qu’on va être heureux tous les deux, comme quand t’étais encore tout petit, mon Gérard. Tu te souviens, Géraaaard ? (voix qui tremblote).
- Haaaa-oui, j’avais presque oublié pourquoi je suis parti de la maison.
- Mais pour aller à l’université, mon chéri. T’as quand même pas oublié ça ?
Dire qu’il a fallu que tu t’amouraches d’une rien du tout. T’aurais pas pu choisir une
étudiante en dernière année ? Comment elle s’appelait déjà, celle qui me plaisait ?
Ennnfin, (soupir à fendre l’âme) c’est la vie, mon Gérard ! Mais t’avoueras quand même…
- T’as bien fait de me parler de ça, tiens ! C’est fou ce qu’on oublie quelquefois.
- Pas moi ! Moi je garde tout, Gérard. Mes souvenirs, c’est tout ce qui me reste.